Les préoccupations liées à la biodiversité ne prennent pas assez en compte la biodiversité génétique. Tel est le signal d’alarme que lancent de nombreux scientifiques issus de plusieurs universités et instituts de recherche autour du globe, dont l’Université Libre de Bruxelles.
« Le document “Zero draft of the post-2020 global biodiversity framework” publié en début d’année 2020 par le secrétariat de la Convention sur la diversité biologique (une convention des Nations-Unis adoptée en 1992 au sommet de la Terre de Rio de Janeiro) néglige la diversité génétique, élément de base de l’évolution et de toute la diversité biologique », estiment les scientifiques.
Ce nouveau document a pour but de guider les actions des pays en matière de conservation de la biodiversité et d’évaluation de leurs progrès. On y mentionne bien la protection des écosystèmes, des espèces et des gènes. Mais les chercheurs soulignent que les indicateurs de progrès se concentrent surtout sur les espèces domestiquées, cultivées et les espèces sauvages apparentées aux espèces utiles.
« Nous recommandons que ce document cadre post-2020 engage explicitement les signataires au maintien de la diversité génétique de toutes les espèces (pas seulement celle des espèces utiles) et à la mise en œuvre de stratégies afin de stopper l’érosion génétique et préserver le potentiel d’adaptation des populations des espèces sauvages et domestiquées », explique Myriam Heuertz, collaboratrice scientifique de l’Université libre de Bruxelles, directrice de recherche à l’Institut national (français) de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE).
Dans leur article, les scientifiques proposent également des indicateurs améliorés pour le suivi de la diversité génétique des espèces, basés sur la taille génétiquement efficace des populations et sur le risque de perte de populations génétiquement différenciées.
« L’utilisation excessive de réservoirs génétiques étroits dans l’agriculture, la sylviculture et la pêche peut également aboutir à des pertes catastrophiques pour les sociétés et les économies », explique Myriam Heuertz, dans un communiqué de l’ULB. La chercheuse cite l’exemple de la production de « Gros Michel », variété de bananes originaire de l’Asie du Sud-Est, qui s’est effondrée dans les années 1950, tandis que les bananiers « Cavendish » sont quant à eux actuellement menacés par des champignons causant la Maladie de Panama.
À l’ULB, le Laboratoire de Biologie évolutive et d’Écologie (EBE) étudie la diversité génétique au sein des espèces d’arbres tropicaux d’Afrique, afin de mieux comprendre l’histoire de la végétation tropicale.
« Cette démarche permet d’informer les exploitants et gestionnaires des forêts afin de minimiser les risques d’érosion génétique liés aux pratiques de gestion, explique Olivier Hardy, chercheur et chef d’équipe à l’EBE.
Par exemple, les analyses génétiques montrent que certaines espèces d’arbres ne se reproduisent efficacement que lorsqu’ils ont atteint un diamètre supérieur à 90 cm, alors qu’ils sont déjà exploités à des diamètres inférieurs, ce qui compromet leur régénération naturelle. Pour ces espèces il faudrait donc relever le diamètre minimal d’exploitation ou définir des densités minimales de grands arbres à conserver après exploitation ».
Les données génétiques sur les arbres africains ont également révélé que près d’un tiers des espèces décrites par les taxonomistes sont en réalité composées de plusieurs espèces très semblables. Celles-ci peuvent différer quant à leur distribution géographique, leur abondance, leur écologie, ou encore les propriétés des produits qu’on en tire (bois, nourriture, substances médicinales, …).
Leur gestion et conservation nécessite donc de reconnaitre ces différences génétiques. Des recherches menées à l’EBE visent à prédire quelles provenances ont le plus de chance d’être adaptées au climat futur et de conseiller de futurs programmes de plantation.